Première partie
De la découverte de Rome à l’évasion de Spartacus
Les prochaines lignes vont nous transporter vers une contrée à la fois proche et lointaine pour aller à la rencontre de l’univers et la vie de l’un des gladiateurs les plus connus d’Europe ! Son nom ? Spartacus !
Voyageons ensemble chez nos voisins Romains, au premier siècle avant notre ère…

Rome et la gladiature
Rome et l’esclavage
Au Ier siècle av. J.-C., Rome est une république[1] depuis près de quatre siècles et une puissance conquérante depuis au moins deux cents ans. L’un de ses ennemis les plus redoutable fut Carthage, une puissance nord-africaine notamment sous la domination du célèbre Hannibal Barca (247 av. J.-C. – 183 av. J.-C.). Rome s’étend de toute part, créant progressivement un empire territorial, et, avec chaque nouvelle conquête, l’armée apporte aux différentes cités un butin composé de richesses matérielles mais également des esclaves

Carte animée “De la Naissance à l’Empire Romain”
Durant cette période, l’esclavage est une pratique habituelle au sein de la société et de l’empire romain. Il en existe plusieurs sortes et chaque être humain est utilisé selon les besoins des citoyens libres de Rome. Ainsi, il en existe trois grandes catégories. Nous avons les esclaves ruraux qui sont ceux qui travaillent dans les champs, chez les propriétaires terriens. Les esclaves domestiques sont au service de la famille et vivent au sein des différents foyers pour s’occuper des tâches d’intérieures. Enfin, les esclaves dits “publics” qui sont eux, au service de la République. On y retrouve notamment des scribes et secrétaires des magistrats[2] mais également des travailleurs au sein de la voierie et des bibliothèques. Parmi les hommes sont choisis ceux qui étaient le mieux bâtis et avec assez de force physique pour un marché bien spécial, celui de la gladiature.

La gladiature et les gladiateurs
Les termes gladiature et gladiateurs tiennent leur origine du latin gladius qui signifie “glaive”.
Nous retrouvons les premières traces de ce phénomène dans les écrits du poète grec Homère au VIIIe siècle avant notre ère. Il raconte que pendant la guerre de Troie[3], dans le cadre du rite funéraire, les soldats participent à un ensemble de compétitions pour honorer les défunts. Il relate notamment celle du duel entre Ajax et Diomède lors des funérailles de Patrocle, le cousin d’Achille. Ils sont alors armés de lances, d’épées et de bouclier et doivent s’affronter jusqu’à ce que l’un fasse saigner l’autre. Cependant, le combat est interrompu car la foule, composée de soldats, craint que Diomède ne porte un coup fatal à Ajax. Achille offre alors à Diomède un glaive aux clous d’argent comme récompense.

Ces duels ont lieu dans toute la Méditerranée, notamment au IIIe siècle av. J.-C., dans les rangs du Carthaginois Hannibal. En effet, alors qu’il a fait prisonniers des soldats romains, il leur offre l’opportunité de retrouver leur liberté s’ils remportent un duel contre l’un des leurs. Le perdant est, quant à lui, délivré par la mort. Initialement, les acteurs sont d’abord appelés les bustuarii, c’est à dire, “ceux qui combattent devant les bûchers funéraires”.
Au fur et à mesure, et surtout à Rome, l’aspect religieux du rituel funéraire s’estompe pour laisser place à la volonté de spectacle pour le peuple. Ce ne sont plus des guerriers volontaires qui souhaitent honorer un mort, ni des prisonniers de guerre à qui l’on offre l’opportunité de regagner leur liberté en remportant le combat. Ce sont des esclaves que l’on force à se battre pour le plaisir du peuple. Ainsi, le nom change pour gladiatorii, à savoir, “ceux qui vivent par le glaive”. Les gladiateurs ont une armatura, c’est-à-dire une tenue et des armes, liée à leurs atouts

Restitutions faites par Bernard Roque Joffre dans l’ouvrage Spartacus d’Eric Teyssier
SPARTACUS
Les origines de Spartacus
Revenons en à notre héros. Spartacus est né aux alentours des années 100 av. J.-C. en Thrace, une région qui se situe au nord-est de l’empire romain. L’origine de son prénom interroge encore aujourd’hui et il convient de noter que les rois Thraces portaient parfois les noms de Spardocos ou Spartokos. Ainsi, deux options s’offrent à nous pour y répondre. La première est qu’il s’agit bel et bien de celui qui lui a été donné à sa naissance ; la seconde est que, arrivé à Rome en tant qu’esclave, son nouveau maître lui a attribué ce prénom en référence aux anciens rois Thraces. Nous n’avons pas de certitude quant aux origines sociales de Spartacus mais, si tel et bien son prénom, il est possible qu’il soit né dans une famille aristocrate.

Denis Foyatier (1830)

Série « Spartacus » de Steven S. DeKNIGHT
Par ailleurs, il existe deux théories concernant la raison pour laquelle il a été réduit à l’esclavage. La première, défendue par Florus[4], est que Spartacus faisait partie d’une armée alliée à Rome et utilisée pour combattre un autre peuple ennemi de l’Empire. Mécontent de la situation, probablement refusant d’être sacrifié pour les conquêtes romaines, il déserte et devient un brigand. Il est alors capturé et, compte tenu de sa force physique, envoyé à Rome pour servir de gladiateur. C’est une partie de cette théorie qui est d’ailleurs reprise dans la série « SPARTACUS » de Steven S. DeKNIGHT. La seconde, sur laquelle s’accordent de nombreux auteurs antiques, notamment Plutarque et Varron, explique que Spartacus est un simple prisonnier de guerre réduit à l’esclavage. Comme mentionné plus haut, cela faisait partie des usages courants à Rome et il atterrit donc au sein de la péninsule italique. Spartacus arrive alors à Rome vers 74 av. J.-C. en tant qu’esclave. En raison de sa forme physique et de ses qualités de combattant, il atterrit dans la catégorie des futurs gladiateurs. Il est acheté, avec sa femme – selon Plutarque – par le laniste[5] Quintus Lentulus Batiatus qui gère une école de gladiateur, un ludus, dans la cité de Capoue, en Campanie.
La vie au sein du ludus
Pour un laniste, l’achat d’un gladiateur est un réel investissement, surtout à l’époque qui nous intéresse. En effet, l’intérêt du public pour les combats de gladiateur augmente de façon exponentielle. Le prix des jeux organisés par l’élite romaine (munera) sont donc de plus en plus onéreux. Cela étant, la foule ne se satisfait pas uniquement de voir mourir ces hommes dans l’arène. Elle demande à voir des combats spectaculaires, avec des gladiateurs certes forts, mais également rusés et dotés d’une technique particulière.
Ainsi, les entraînements au sein du ludus sont intenses puisque les hommes s’affrontent pendant plusieurs heures et doivent constamment se surpasser afin d’avoir une chance de survivre le jour des combats officiels. Les meilleurs d’entre eux deviennent parfois des mentor – à qui l’on attribue le nom de « doctore » – pour les nouvelles recrues. Un lien se créé alors entre les gladiateurs et leur doctore qui est celui qui choisit leur armatura pour les combats dans l’arène. Par ailleurs, afin d’éviter toute volonté de rébellion, les armes avec lesquelles ils s’entraînent sont en bois. En revanche, les gardes, lanistes et doctore, possèdent bel et bien de vraies armes afin de dissuader les fortes têtes.
Le fait de devoir se donner en spectacle devant une foule au sein d’une arène et prendre le risque d’y perdre la vie est déjà une torture psychologique et physique pour l’ensemble des gladiateurs. Cependant, il est aussi assez fréquent que ces combats aient lieu lors de soirées privées comme étant un divertissement pour les convives. Ils ne sont alors plus traités comme des guerriers terrifiants mis en scène pour la gloire de Rome, mais y ont alors le même statut que les prostituées ou les danseuses. L’humiliation est alors bien plus féroce puisque ce sont quelques hommes et femmes, souvent ivres, qui s’esclaffent, recherchent un frisson d’horreur et s’amusent de la mort atroce d’un autre être humain.

La cour est le lieu d’entraînement des gladiateurs, la villa du « Dominus » se trouve à l’étage
Série « Spartacus » de Steven S. DeKNIGHT
L’évasion
Spartacus est né libre et n’a connu l’esclavage qu’à l’âge adulte. Comme la plupart des hommes de son temps, mourir au combat fait partie du destin de la majeure partie d’entre eux. En revanche, les humiliations répétées liées au statut d’esclave sont, elles, particulièrement difficiles à accepter. Spartacus, au sein du ludus de Quintus Lentulus Batiatus y a subi toutes sortes de violences. L’intensité des entraînements, les bains de sang lors des duels de compétitions, les morts atroces de ses co-gladiateurs lors de soirées privées et cela, uniquement pour le plaisir et le divertissement d’une foule ou de quelques invités de son maître. Ce n’est donc pas la mort que Spartacus redoute, c’est sa mise en scène pour un public, qui lui est probablement insupportable.
L’évasion a probablement été mise en place par Spartacus sur plusieurs semaines, mais nous n’avons pas de récit précis des faits, ni de la méthode employée. Plutarque explique que le projet d’évasion a été découvert et que 78 gladiateurs ont été en mesure de s’enfuir avant que leur maître ne les punisse. Par ailleurs, il est important de préciser que Spartacus recherche la liberté, son objectif initial n’est pas de créer une révolte d’esclaves, mais le destin en a décidé autrement…
L’évasion a lieu au printemps 73 av. J.-C. Spartacus récupère des armes dans un convoi justement destiné à des jeux où allaient bientôt combattre des gladiateurs. Les évadés réussissent à faire fuir la simple milice urbaine qui a été envoyé les récupérer.

Si les invités de marque le demandent, les gladiateurs doivent s’affronter.
Série « Spartacus » de Steven S. DeKNIGHT

Les anciens gladiateurs s’installent alors à l’abri dans les montagnes du Vésuve qui surplombent la région de Campanie. Le volcan est entouré de nombreuses terres agricoles où des esclaves vivent une réelle misère – comparé aux esclaves en ville – et qui ont tous entendu parler de l’évasion. Ils se mettent alors à espérer et comme, dans la plupart des cas, ils sont bien plus nombreux que leurs maîtres et leurs intendants, ils décident peu à peu de se révolter. Ainsi, c’est par centaines que ces nouveaux fugitifs rejoignent progressivement les gladiateurs sur le Vésuve.
Comme c’est le cas pour de nombreuses révoltes et autres évènements historiques, le timing représente un facteur essentiel pour la réussite ou l’échec des entreprises menées par ces hommes et ces femmes du passé. Dans le cas de Spartacus, lorsque la nouvelle des évasions arrive au Sénat de Rome, les leaders militaires (Sertorius & Pompée le Grand) sont déjà occupés par d’autres conquêtes et conflits sur différents fronts, bien loin de la Campanie. Cela a donc un effet considérable sur la gestion de la révolte par Rome.
Une révolte?
Le Sénat envoie alors un certain Claudius à la tête d’une troupe de 3 000 hommes. Cela devrait être amplement suffisant pour mâter ces esclaves en fuite. Claudius assiège Spartacus en campant au pied de la montagne du Vésuve et patiente. Il attend que la faim et la soif aient raison des gladiateurs et de ceux qui les ont rejoints. La situation semble en effet désespérée pour Spartacus mais ce dernier met en place un stratagème, pour le moins étonnant. Bien qu’ils ne puissent pas se nourrir des vignes sauvages présentes sur la falaise, Spartacus et les autres gladiateurs utilisent les lianes qui poussent pour en faire un système d’échelles. Elles leur permettent de descendre la montagne sans alerter les romains qui se trouvent à ses pieds. Une fois arrivés sur la plaine, armes en mains, les gladiateurs n’hésitent pas et massacrent les légionnaires qui étaient, pour la plupart, encore endormis. Et oui ! Claudius, méprisant l’intelligence des gladiateurs, n’a pas jugé utile de fortifier l’entièreté de son camp. Erreur fatale…

Série « Spartacus » de Steven S. DeKNIGHT
Lorsque le reste de la Campanie prend connaissance de cet épisode, la révolte des esclaves est officiellement déclenchée. L’armée de Spartacus naît progressivement avec l’arrivée massive de nouveaux esclaves et l’obtention des armes romaines laissées par les morts et les fuyards du Vésuve.
L’armée s’attaque violement à différentes villes dans la riche Campanie, notamment les villes de Cora, Nuceria et Nola. La prise de ces cités peut notamment s’expliquer par la complicité des esclaves et citoyens les plus pauvres, qui ont probablement ouvert les portes de la ville et aidé à dépouiller, voire tuer, leurs anciens maîtres. Par ailleurs, Rome s’est fait de nombreux ennemis durant les dernières décennies dans la région (Samnites, Lucaniens etc.). Une profonde rancœur à l’égard des Romains les anime. Une des conséquences du règne brutal de Rome est l’adhésion d’hommes et de femmes à la cause de Spartacus, et ce, par pure vengeance (#KarmaIsABitch).
Ainsi, à l’été 73, l’armée de Spartacus compte presque 10 000 hommes et personne ne connait l’ampleur de son ambition…
[1] République : système politique dans lequel une assemblée de sénateurs dirige la cité, avec à la tête du Sénat, deux consuls élu par an. Les citoyens romains élisent leurs dirigeants.
[2] Magistrat : Haut fonctionnaire romain.
[3] La guerre de Troie : Conflit mythologique qui voit s’affronter les rois et héros Grecs aux Troyens (actuelle Turquie) suite à la fuite d’Helene, épouse du roi grec Ménélas, avec Pâris, prince de Troie. L’histoire est relatée dans les chants de l’Illiade.
[4] Florus : Historien et poète romain du IIe siècle.
[5] Laniste : Marchand qui achète, forme, loue et vend les gladiateurs pour les jeux du cirque.
