UNE SEMAINE AU PAYS DES PHARAONS (2/3)

Jour 3

            La navigation s’est poursuivie durant une partie de la nuit. Malheureusement pour Léonie et moi, nous avons été réveillées à 4h50 par l’appel à la prière (les enceintes étaient sur le quai juste en face de notre cabine), il nous a été très difficile de nous rendormir. À 9 heures, nous sommes parties pour le temple d’Horus d’Edfou.

Edfou est une ville située sur la rive gauche du Nil, entre Louxor et Assouan. Ce temple voué au culte d’Horus, bien qu’identique à tous les temples égyptiens, est en réalité grec : il s’agit d’une commande des Ptolémées (Ptolémée III), construit entre 237 et 57 av. J.-C. À cette époque, les Égyptiens croyaient que la déesse Hathor1 se rendait chaque année, depuis son temple de Dendérah, à Edfou pour rendre visite à son époux le dieu Horus2. Durant cette période, de grandes festivités (« la fête de la bonne réunion ») étaient ainsi organisées pour honorer l’union de ce couple divin : la statue d’Hathor remontait le Nil jusqu’à Edfou où l’attendait son époux (ou plutôt sa statue de faucon) escorté par toute la ville en ébullition, puis l’on célébrait à nouveau le mariage des deux divinités. Tous les ans, le pharaon se rendait à Edfou où il apportait des offrandes à Hathor et Horus. Le temple d’Edfou est l’un des temples les mieux conservés d’Égypte ainsi que le deuxième plus grand temple égyptien après celui de Karnak en raison de sa superficie. On ne peut qu’être impressionné par la taille extraordinaire de son pylône (32 mètres) orné de bas-reliefs représentant Ptolémée XII en train de tuer ses ennemis devant Horus et Hathor. En se promenant à l’intérieur du temple, on remarque que certains bas-reliefs ont été très abimés : ils avaient été martelés par les premiers chrétiens qui voulaient alors effacer toute trace de l’ancienne religion égyptienne. Contrairement aux égyptiens anciens à qui l’entrée du naos3 était interdite car uniquement réservée aux prêtres, nous y avons pénétré et avons exploré les différentes salles dont celle où se dressait la statue d’Horus. 

            Après une nouvelle sieste réparatrice et un Tea Time à 17 heures, Wael nous a réunies pour nous donner un cours d’arabe. Nous avons appris à compter jusqu’à 9 (ne me demandez pas de réessayer, j’ai tout oublié) ainsi que des mots ou des phrases qui pouvaient nous servir comme « bonjour », « excusez-moi », « je voudrais… », et surtout « je n’ai pas d’argent » (« ma’andish flouz »), très utile pour répondre aux incessantes sollicitations d’hommes ou d’enfants cherchant à nous vendre des babioles en tout genre. Ce qui est marrant, c’est qu’il y a des tournures de phrases que l’on dit lorsque l’on est une femme ou un homme, d’autres selon si on s’adresse à un homme ou à une femme (dans ces cas-là, la fin du mot change). Cette réunion a également été l’occasion d’échanger avec Wael, d’en apprendre plus sur lui, sur sa vie au Caire et son travail de guide.

            À 19h30, nous nous sommes rendues au temple de Kom Ombo (45 km au nord d’Assouan). Il s’agit du temple dédié au culte de Sobek4 et d’Haroëris5, construit à la demande de Ptolémée VI, puis embelli sous le règne d’autres rois de la dynastie lagide (323-3° av. n. è.) mais également durant l’ère romaine, notamment sous Auguste (27 av. J.-C. – 14 apr. J.-C.) et Domitien (81-96). Plus tard, lorsque les cultes païens ont été interdits par les empereurs romains, le temple est devenu une église pour les coptes avant d’être abandonné. L’édifice est en partie ruiné : des rois se sont emparés de ses pierres pour fonder d’autres bâtiments, le Nil sortant de son lit a endommagé les murs et des tremblements de terre ont achevé de l’abîmer. Heureusement, le temple a été restauré en 1893 par le Service de conservation des antiquités de l’Égypte. Il était agréable de visiter ce temple de nuit, non seulement car il faisait nettement moins chaud, mais aussi parce que la nuit et les illuminations du temple nous donnent une impression différente du monument. Situé à quelques mètres, un musée exposait des crocodiles momifiés retrouvés près du temple.  

            De retour sur le navire, un barbecue nous attendait sur le pont. Nous avons terminé la soirée sur la piste de danse, au milieu des autres croisiéristes, certains trop timorés pour se joindre à nous, d’autres partis se coucher. 


Jour 4

            Au réveil, nous étions amarrés à Assouan. La ville est située sur la rive droite du Nil, entre la 1ère et la 2èmecataracte6. Au fil du temps, elle a eu plusieurs noms : Sounou en égyptien ancien (signifiant « commerce » ou « marché »), Suḗnē en grec ancien (francisé en Syène) et enfin Aswān en arabe (francisé en Assouan). 

Parties à 6 heures, nous avons fait un premier arrêt sur le haut-barrage d’Assouan. Il a été construit entre 1960 et 1970 afin de diminuer les inondations annuelles du Nil ; une grande partie de l’électricité consommée en Égypte est produite par ce barrage. Le haut-barrage est à ne pas confondre avec l’ancien barrage d’Assouan, beaucoup plus petit et plus ancien7. Il mesure 3 600 m de long et 111 m de haut : 43 millions de m3 de pierre ont été nécessaires à son érection ! L’édification de ce barrage a donné naissance au lac Nasser, long de 500 km et large de 16 km : c’est le plus grand lac artificiel du monde. Contrairement à ce que l’on peut croire, il n’y a plus de crocodiles dans le Nil égyptien, cependant, ils sont présents en abondance dans le lac Nasser et à partir de la 3ème cataracte au Soudan. Une partie du barrage comporte des installations militaires qu’il est interdit de prendre en photo sous peine de finir en prison (je suppose que la prison en Égypte est loin du palace 5 étoiles…). 

            Après l’arrêt photo sur le haut-barrage (à un endroit autorisé bien entendu), nous sommes allées au temple de Philae, dédié à la déesse Isis8. Situé sur une île, il faut donc prendre un petit bateau afin d’y accéder. La légende veut qu’Isis se soit réfugiée sur l’île de Philae avec les morceaux du corps d’Osiris afin de le remembrer. Le temple a été construit sur une longue période, entre IVe siècle av. J.-C., sous le règne de Nectanébo Ier (l’un des derniers pharaon égyptien), et le IIe siècle apr. J.-C. sous les Romains. Il a d’ailleurs été un temple important du temps des pharaons lagides, devenant ainsi le lieu de culte officiel de la déesse Isis. C’est seulement en 530 de notre ère que l’empereur Justinien a ordonné la fermeture du temple. Suite à la construction du haut-barrage d’Assouan, l’île de Philae a été envahie par les eaux, immergeant entièrement le temple durant plusieurs dizaines d’années. Ainsi, entre 1972 et 1980, sous l’autorité de l’UNESCO et du gouvernement égyptien, le temple a été déplacé pierre par pierre sur l’île voisine d’Aguilkia, mais, par commodité, il est toujours appelé temple de Philae. 

            Ensuite, nous nous sommes rendues dans une boutique de parfum, Assouan étant la capitale égyptienne du parfum. Nous avons eu un cours accéléré sur les différentes essences égyptiennes, notamment celles achetées par les grands parfumeurs comme Dior ou Guerlain. Plusieurs d’entre nous ont acheté un flacon d’huile essentielle, celle au lotus pour ma part. Après un petit tour en felouque sur le Nil, nous sommes rentrées déjeuner sur le « Da Vinci ». 

            Au cours de l’après-midi, certaines d’entre nous sont parties pour la Nubie. Nous avons d’abord fait une balade d’une heure sur le Nil, loin de la voie de navigation principale, dans des recoins plus « sauvages » où la nature domine. Nous avons ensuite piqué une tête dans le Nil : l’eau était à 19 degrés, un vrai rafraichissement alors que la température avoisinait les 45 degrés. Enfin, nous avons visité un village nubien dans lequel les habitants vivent en communauté. Avant de partir, nous avons été reçues chez le frère du chef du village, où l’on nous a servi du thé et des spécialités nubiennes : du miel de canne à sucre, noir comme la mélasse, du nougat et du fromage de chèvre épicé et très fort en goût. 

En début de soirée, des danseurs nubiens nous ont fait une démonstration de leurs danses traditionnelles.

Jour 5

Nouvelle courte nuit : nous sommes parties à 2h30 pour Abou Simbel, qui est à un peu plus de 3 heures de route d’Assouan. En raison de l’insécurité des touristes en Égypte, des policiers voyageaient avec nous dans le car. Nous sommes arrivées au moment du lever du soleil, admirant les différentes teintes orangées se refléter sur le temple.

La ville d’Abou Simbel est située à 290 km au sud d’Assouan, au bord du lac Nasser, proche de la frontière avec le Soudan (environ 70 km). Abou Simbel comprend deux temples : le temple de Ramsès II (le Grand Temple) et le temple de la reine Néfertari (le Petit Temple). Tous deux sont classés au patrimoine mondial de l’UNESCO. 

La construction des deux temples a débutée durant les premières années du règne de Ramsès II, aux alentours de 1260 av. J.-C., quelques années après la victoire (ou la défaite selon les sources) sur les Hittites à la bataille de Qadesh en 1275 av. J.-C. ; cette bataille est d’ailleurs racontée sur plusieurs bas-reliefs à l’intérieur du temple. Le site d’Abou Simbel a été choisi par Ramsès II pour deux raisons : tout d’abord, Abou Simbel est à un carrefour en Égypte, porte d’accès à l’Afrique et aux mines d’or et de pierres précieuses ; de plus, lorsque les visiteurs étrangers entraient en Égypte, ils passaient forcément devant les deux temples qui devaient tout à la fois les impressionner et les intimider. Ensuite, il est très probable que la reine Néfertari, son épouse préférée, ait été nubienne ; ainsi, Ramsès II aurait voulu construire ses temples sur la terre de son épouse. Chose incroyable, le Grand et le Petit Temple ont été creusés dans la roche (du grès). 

Quatre statues monumentales de Ramsès II ornent la façade du Grand Temple : le pharaon est représenté assis sur son trône, les mains sur les cuisses, coiffé du pschent, la double couronne égyptienne. D’après notre guide, d’un coin de bouche à l’autre il y a une longueur d’1 mètre, d’une oreille à l’autre il y a 4 mètres ; les statues mesuraient 21 mètres. Aux pieds de ces statues colossales figurent des statues représentant des femmes, d’une taille bien plus modeste, qui sont les épouses de Ramsès II : le célèbre pharaon a eu pas moins de 34 épouses (les grandes épouses, Néfertari et Isis-Nofret, les concubines royales, les épouses secondaires, ses filles ; concernant ces dernières, les égyptologues ignorent s’il s’agissait de relations incestueuses ou d’unions politiques) et plus d’une centaine d’enfants (seuls ceux qu’il a eu avec ses deux grandes épouses sont représentés sur ses monuments). Le Grand Temple est à la gloire de Ramsès II : à l’intérieur, huit statues de Ramsès (10 m), les bras croisés comme Osiris, sont accolées aux piliers ; sur les parois latérales, des bas-reliefs représentent des scènes militaires dans lesquelles Ramsès II est victorieux. Plus loin dans le temple, les scènes religieuses remplacent les scènes profanes. Au fond du temple, une petite salle abrite quatre statues assises : Ramsès II divinisé, Ptah9, Amôn-Rê et Rê-Horakhty10. Deux fois par an, les 22 février et 22 octobre, a lieu un phénomène solaire extraordinaire : dès l’aube, les rayons du soleil pénètrent dans le temple, traversent les différentes salles et illuminent les visages de trois des quatre statues ; Ptah n’est jamais atteint par les rayons du soleil car les Égyptiens anciens le considéraient comme un dieu des ténèbres, il devait donc rester dans l’ombre. Ce prodige n’est pas le fruit du hasard mais le résultat d’un calcul réfléchi : ces dates sont celles du couronnement et de la naissance de Ramsès II. 

À proximité, le Petit Temple est voué au culte de Néfertari, représentée sous les traits de la déesse Hathor. Des statues de Ramsès II (quatre) et de Néfertari (deux), de taille égale, adornent la façade11. À leurs pieds sont représentés leurs enfants. À l’intérieur, des bas-reliefs illustrent la déification du pharaon, sa victoire contre ses ennemis, ainsi que les offrandes de Néfertari aux déesses Hathor et Mout. 

Les temples ont été redécouverts en 1813 par un explorateur suisse, Burkhard, puis en 1817 par l’italien Belzoni. Afin d’éviter que les temples ne soient engloutis par les eaux du futur lac Nasser, en raison de la construction du haut-barrage d’Assouan en 1960, un projet de préservation mené par l’UNESCO est mis sur pieds. Ainsi, entre 1964 et 1968, les temples sont déplacés sur un site plus élevé de 65 m. L’opération de sauvetage est sans précédent : les temples sont découpés à la scie en 1 036 blocs de 20 à 30 tonnes chacun (numérotés et documentés avec précision), transportés sur le nouveau site, puis réassemblés dans une falaise artificielle construite spécialement. Ce fut un travail titanesque qui a mobilisé durant quatre ans 3 000 archéologues, historiens, ingénieurs, architectes et ouvriers originaires d’une trentaine de pays, pour un coût total de 40 millions de dollars (soit 300 millions de dollars actuels). Il a également fallu préserver l’alignement astronomique du Grand Temple qui permettait l’illumination des trois statues divines ; désormais, l’évènement solaire se produit avec un décalage d’un jour par rapport à l’original. 

            Plus tard dans la journée, après une sieste revigorante, nous avons eu droit à un cours de cuisine : le chef cuisinier du « Da Vinci » nous a montré comment préparer des entrées typiquement égyptiennes (Tahina, Baba ghanouj, Salade de moine, Humus), que l’on a pu goûter (plusieurs fois pour les plus gourmandes). Le dîner était une découverte de spécialités égyptiennes, dont le Koshari, un plat mélangeant pâtes, lentilles, riz et pois chiche (idéal lorsque l’on a une fissure à colmater dans un muret12).


  1. Hathor, reconnaissable au disque solaire placé entre ses cornes, est la déesse de l’Amour, de la Beauté, de la Musique, de la Maternité et de la Joie. Elle est l’épouse d’Horus avec lequel elle a deux fils, Ihi et Harsomtous. Elle était l’une des déesses les plus populaires et importante durant toute l’antiquité égyptienne. ↩︎
  2. Horus, représenté avec une tête de faucon et couronné du pschent (la double couronne des pharaons, symbolisant l’union de la Haute et de la Basse Égypte), est le fils d’Osiris et d’Isis. Après avoir vengé la mort de son père en tuant le dieu Seth, il aurait été couronné pharaon d’Égypte, devenant ainsi le tout premier pharaon. Il est le dieu du ciel et le dieu protecteur des pharaons. ↩︎
  3. Il désigne la partie centrale d’un édifice religieux recevant généralement la statue d’une divinité. C’est la partie la plus importante dans un temple de la Grèce antique ou de l’Égypte ancienne. ↩︎
  4. Sobek est reconnaissable à sa tête de crocodile. Il est le dieu de l’Eau et de la fertilité.  ↩︎
  5. Haroëris, dont le nom signifie en égyptien « Horus le Grand » ou « Horus l’ancien », est un dieu solaire et guerrier, protecteur de la Haute-Égypte. ↩︎
  6. Les cataractes du Nil sont des sections peu profondes du Nil, entre Khartoum et Assouan, où la surface de l’eau est brisée par de nombreux petits rochers et pierres dépassant du lit du fleuve, ainsi que par de nombreux îlots rocheux. ↩︎
  7. Édifié par les Britanniques en 1902, il mesurait 54 m de haut et a été agrandi deux fois au cours du XXe siècle. Sur le point de déborder en 1946, l’idée a émergée de construire un nouveau barrage, plus grand. Toutefois, l’ancien barrage est toujours en activité, mais de façon moindre en comparaison en haut-barrage.  ↩︎
  8. Isis est la déesse protectrice des femmes et des enfants. Elle est généralement représentée avec une coiffe en forme de trône, ou alors portant sur une perruque un disque solaire inséré entre deux cornes de vaches, raison pour laquelle elle était souvent confondue avec la déesse Hathor. Isis est surtout connue pour être l’épouse d’Osiris, assassiné par son frère Seth ; elle rassemble le corps démembré de son époux puis lui redonne vie par magie, avant d’engendrer Horus, qui vengera son père et tuera Seth. Isis est la forme grecque du nom de la déesse. ↩︎
  9. Ptah est le dieu des artisans, des artistes et des architectes. ↩︎
  10. Rê-Horakhty est un dieu égyptien du soleil ; il est la réunion d’Horakhty, l’une des formes d’Horus liée au soleil, et de Rê. ↩︎
  11. La taille égale des statues de Ramsès II et de Néfertari est assez rare pour être souligné. D’ordinaire, les statues de reines se tenant à côté de leur époux n’atteignaient jamais plus que les genoux du pharaon. Ici, cette égalité montre l’importance que revêtait Néfertari aux yeux de son royal époux. ↩︎
  12. Seuls les fans de la série Kaamelott d’Alexandre Astier comprendront la blague. Oui oui, c’est une blague, le plat était succulent. ↩︎

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