Un périple à Istanbul

Il y a de cela quelques semaines, le hasard ou le destin me mena pour la première fois dans les rues d’Istanbul.
Avant de partager avec vous mes principales visites, explorons quelque peu l’histoire d’une ville dotée d’un patrimoine historique fascinant, au carrefour entre l’Orient et l’Occident
.

De Byzance à Istanbul

Durant l’Antiquité : Byzance

La mythologie attribue la fondation de la cité au personnage de Byzas. Ce dernier serait un roi thrace[1] fils de la nymphe[2] Sémestrè ou encore de Poséidon et Céroessa, fille de Zeus.
Ceci étant dit, selon Eusèbe de Césarée[3], la cité est fondée en 659-658 avant Jésus-Christ et prospère durant plusieurs siècles malgré les différentes invasions de « peuples barbares » qu’elle subit.
Cependant, à partir du Ier siècle, la cité est, comme toute la Grèce, sous tutelle romaine et connaît un certain déclin mais reste une cité développée, cosmopolite et géographiquement stratégique, compte tenu de la présence du fleuve Bosphore et du lien entre Europe et Asie.
En 192, l’empereur romain Septime Sévère (r.193 – 211) assiège la cité en représailles du soutien que cette dernière aurait probablement apporté à son rival, Pescennius Niger (140 – 194). En 195, il réduit alors la cité en ruine et la laisse dans un état de désolation avant de la rebâtir et de l’embellir quelques années plus

Constantin le Grand : de Byzance à Constantinople

Le 11 mai 330, Byzance devient Constantinopolis lors d’une cérémonie de dédicace[4] qui a lieu à l’initiative de l’empereur Constantin (r.306 – 337). Ce dernier choisi Byzance comme deuxième capitale de l’Empire, en fait une résidence impériale et la rebaptise selon son propre nom. Son choix s’est porté sur cette cité en raison de sa situation géographique qui permettait une meilleure protection des provinces menacées par les invasions barbares.
La cité prospère durant des décennies, et, à partir du Ve siècle, les empereurs romains d’Orient y sont continuellement présents, ce qui donne à la ville le statut de capitale de l’Empire. Par ailleurs, les fortifications de Constantinople sont particulièrement efficaces contre les nombreux assauts qu’elle subit, et ce, jusqu’en 1204, lors de la prise de la ville par les Croisés[5]. La ville devient alors la capitale de l’éphémère Empire Latin d’Orient[6]. Ce dernier retourne aux mains des Byzantins dès 1261 lorsque les forces armées de l’empire de Nicée (région de l’Empire qui a résisté à la croisade de 1204) reprennent la ville de Constantinople.
La reconstruction de la ville est particulièrement coûteuse et les empereurs s’endettent très vite auprès  des cités de Venise, et surtout de Gênes. La capitale se retrouve à la merci des Génois en raison des privilèges économiques qui leurs sont accordés, puisque l’empereur Michel VIII va jusqu’à leur céder la région de Galata[7].
La ville perd son dynamisme et est frappée par de nombreux fléaux, tels que la Peste Noire (1348 – 1349) ou encore les épidémies de 1416 et de 1447-1448. Parallèlement à cela, les forces ottomanes venues de l’est se sont emparées de la totalité de l’Asie Mineure [8] depuis la moitié du XIVe siècle. La ville est alors assiégée par les Ottomans à deux reprises, notamment entre 1389 et 1402 par Bajazet Ier, puis en 1422 par Mourad II, sans succès. Constantinople reste ainsi le seul vestige de l’Empire romain d’Orient et de dépeuple au cours des siècles pour ne compter que 40 000 à 50 000 habitants en 1453 (contre 300 000 ou 400 000 habitants sous Justinien, empereur romain d’Orient, au VIe siècle).

De Mehmet II à Atatürk : La naissance d’Istanbul

C’est dans ce cadre qu’émerge, sur la scène internationale, le jeune sultan Mehmet II, fils de Mourad II.
Il accède au pouvoir en 1451[9] et décide de réaliser ce qu’aucun de ses ancêtres ou célèbre leader musulman n’a pu accomplir, à savoir, s’emparer de Constantinople. Il commence par construire sur la rive européenne la forteresse de Roumélie en face de celle construite par son père, la forteresse d’Anatolie, qui se trouvait sur la rive asiatique.
L’empereur Constantin X se prépare alors au siège et demande de l’aide au pape pour une nouvelle croisade contre les Ottomans. Ce dernier pose comme condition l’unification des églises catholique et orthodoxe, mais les rivalités et tensions religieuses empêchent une telle union.
Le siège de la ville débute le 6 avril 1453 et cette dernière est alors soumise à de nombreux bombardements, notamment grâce aux nouveaux canons d’Orban, un ingénieur hongrois. Les assauts sont sanglants et Mehmet parvient à faire entrer la marine de guerre par la rive européenne de la Corne d’Or. Les navires se trouvent donc à l’intérieur de la ville et continuent les bombardements de manière intensive. L’attaque finale a lieu la nuit du 28 au 29 mai 1453 et, à midi, à l’issue d’une bataille héroïque entre les deux camps, la ville est désormais aux mains des Ottomans.
Le dernier empereur byzantin, Constantin XI, perd la vie au combat, en défendant la capitale d’un Empire qui désormais n’est plus. La ville de Constantinople ne prend le nom d’Istanbul qu’au XXe siècle, plus précisément en 1930, dans le cadre de la réforme de la langue et de l’écriture turque par Mustafa Kemal Atatürk[10]. Avant cela, seule la vieille ville répondait au nom de « Stamboul », une déformation des mots grecs prononcés Is tím boli(n) et qui signifient « vers la Ville ».


Les visites

Ayasofya

Ma première visite se déroula à Hagia Sophia, anciennement connue sous le nom de Sainte-Sophie.
A l’origine, il s’agit d’une basilique chrétienne qui fut construite au IVe siècle sous l’empereur Constantin consacrée à la « Sagesse Divine », à savoir le Dieu Trinitaire.
L’édifice que nous pouvons visiter aujourd’hui date, lui, du VIe siècle, puisqu’il est à l’initiative de l’empereur Justinien qui en fait alors le siège du patriarche[11] de Constantinople.
Elle est convertie en mosquée en 1453 avec la prise de Constantinople par les Ottomans, et ce jusqu’en 1934. En effet, avec la naissance de la République turque d’Atatürk, elle est transformée en musée.
Puis, en 2020, le président Erdogan décide de lui redonner le statut de lieu de culte et le 24 juillet 2020, le ministre des Affaires religieuses, Ali Erbaş, y préside la première prière du vendredi.

Elle se situe dans le quartier de Sultan Ahmet et est le deuxième monument le plus visité du pays, après le palais Topkapi. Dès les premiers pas effectués dans l’enceinte du bâtiment, nous avons la sensation de faire un voyage dans le passé, et, en l’occurrence jusque dans l’Antiquité. Les décorations sont imposantes et, bien qu’il s’agisse désormais d’une mosquée, il reste tout de même des traces de son passé chrétien sur les murs et les plafonds

Sultanahmet

La mosquée Sultan Ahmet ou Mosquée Bleue a été construite au XVIIe siècle, entre 1609 et 1616 à l’initiative du sultan Ahmet Ier (r.603 – 1617). Il prend cette décision à l’issu du traité de paix entre l’Empire et la Hongrie afin d’apaiser Dieu. Par ailleurs, il choisit de la construire en face d’Hagia Sophia sur le site de l’ancien Grand Palais des empereurs byzantins. Son objectif est de rivaliser avec l’architecture et la magnificence des édifices byzantins. Le sultan inaugure même la construction en mettant lui-même le premier coup de pioche sur le chantier.
Elle doit son surnom de « Mosquée Bleue » en raison des céramiques à dominante bleue, dit carreaux de faïence d’Iznik, qui ornent les murs intérieurs. Elle est composée de six minarets afin de rappeler la Grande mosquée de la Mecque, Al-Ahram.

Ma visite fut malheureusement de courte durée en raison des travaux en cours dans la majorité de l’édifice. Cela ne m’a bien entendu pas empêché de l’admirer depuis l’esplanade extérieure, mais également d’Ayasofya.

Suleymaniye

La mosquée a été construite pour le sultan Suleyman le Magnifique (r.1520 – 1566) entre 1550 et 1557 sous la direction de l’architecte Sinan[12] Elle fut construite sur l’une des collines les plus élevées de la ville et domine ainsi majestueusement la Côte d’Or. Elle appartient à la catégorie des mosquées « selatin », c’est-à-dire, construites par les membres de la famille impériale.
Elle comporte 4 minarets qui eux-mêmes contiennent 10 balcons, et ces chiffres ne sont pas anodins… En effet, Suleyman Ier est le dixième sultan de la dynastie ottomane et le quatrième sultan installé à Istanbul. Ce dernier y est d’ailleurs enterré aux côtés de son épouse favorite, Roxanne, simple esclave puis concubine qui deviendra sultane.

J’ai particulièrement savouré la visite de Suleymaniye car y accéder est sportif ! Comme précisé plus haut, elle se situe sur une colline qui surplombe la ville, il a donc fallu s’attaquer à plusieurs pentes très raides. Cela en valait la peine puisque j’ai été époustouflée par sa grandeur de son architecture. La cour intérieure brille et éblouie en raison des rayons du soleil qui inondent le carrelage blanc immaculé. Par ailleurs, la disposition des coupoles m’a intriguée puisqu’elle donne l’impression de voir des marches qui mènent du sol vers le ciel… Pour résumer, la mosquée de Suleyman est, à l’image du surnom du sultan, magnifique.

Balade sur le Bosphore

Qui dit Istanbul, dit bien entendu, Bosphore. Le fleuve relie la mer Noire à la mer de Marmara et marque la limite méridionale entre l’Europe et l’Asie mais surtout, sépare la province d’Istanbul en deux entre les rives anatolienne (asiatique) et rouméliote (européenne).
J’ai donc eu l’occasion de faire une petite croisière sur le fleuve avant le coucher du soleil afin d’admirer les deux rives. J’ai pu apercevoir différentes mosquées, notamment, Suleymaniye que l’on peut observer de très loin, mais également la tour Galata, et surtout les vestiges de la forteresse de Rumeli, construite au XVe siècle par Mehmet II pour la conquête de Constantinople.

Si vous atterrissez un jour à Istanbul, la balade sur le Bosphore s’impose, un vent particulièrement agréable vous caresse le visage alors que vous vous imaginez être des marchands génois du XIIIe siècle venus s’installer à Constantinople !

Le Palais Topkapi

Il est le palais des sultans ottomans de 1465 à 1853 et construit à l’initiative de Mehmet II Le Conquérant. Le sultan a choisi un emplacement qui lui permette de surplomber sa nouvelle capitale, Constantinople. Il est ainsi construit sur l’ancienne acropole de Byzance à partir de 1459, soit six ans après la conquête. Il connait plusieurs extensions, notamment la construction du Harem au XVIe siècle ainsi que des reconstructions à la suite d’incendies. Il est composé de quatre cours principales, de bâtiments annexes ainsi que de jardins extérieurs. Le palais est le lieu de résidence du sultan, sa mère, la sultane validé ses épouses, concubines, ainsi que le reste de sa famille et leurs serviteurs. On estime qu’à son apogée, 4 000 personnes y résidaient.
Aujourd’hui, il s’agit d’un musée où l’on peut notamment admirer des reliques religieuses telles que le bâton de Moïse, l’empreinte du prophète Mohamed mais également ses épées ainsi que celles de ses compagnons. On y trouve également les cuisines du palais, la tour de justice, la salle des audiences, ainsi que la bibliothèque d’Ahmet III et le Pavillon d’Iftar[13]. Ce dernier se trouve sur un balcon extérieur avec vue sur le Bosphore, sous lequel les sultans rompaient leur jeûne pendant le ramadan. L’accès au Harem est un supplément puisqu’il s’agit d’un tout autre édifice au sein du palais. On y trouve notamment les appartements privés du sultan, de sa mère, de la sultane validé, leur hammam mais aussi la cour des épouses et concubines, sans compter celle des eunuques.  
Je l’ai visité deux fois en une semaine puisque ma première visite était bien trop courte. J’ai été particulièrement impressionnée par la salle impériale où se trouve le trône du sultan mais également un espace réservé à sa mère, ses épouses, ses concubines et ses servantes. Il ne faut surtout pas passer à côté des jardins suspendus où l’on retrouve plusieurs pavillons. Lors de mes visites, plusieurs salles étaient malheureusement fermées et je n’ai pas pu, par exemple, avoir accès au dortoir où se trouvaient exposé les costumes et étoffes impériaux, ni même à la mosquée de la terrasse.  

Visiter le palais dans son entièreté nécessite une journée complète et intense. Par ailleurs, je vous conseille vivement de vous y rendre dans la matinée, les visiteurs y étant moins nombreux que dans l’après-midi.

Pour conclure, mon voyage à Istanbul a dépassé mes attentes, qui étaient déjà particulièrement élevées. Au-delà des monuments visités, les promenades dans les esplanades des différentes mosquées ou des palais, rendent l’attente très agréable. Le patrimoine historique de la ville est d’une grande richesse, d’autant plus que nous sommes au carrefour entre l’Europe et l’Asie ainsi qu’entre la chrétienté et l’islam. Enfin, les visites permettent un voyage dans le temps jusque dans l’Antiquité, au cœur de Byzance, et nous fait traverser les siècles jusqu’à aujourd’hui


[1] Région historique se situant dans la péninsule balkanique et qui comprend des parties de l’actuelle Grèce, de la Bulgarie et de la Turquie

[2] Divinités subalternes qui appartiennent à un groupe d’esprits de sexe féminin associé à la nature.

[3] Evêque de Césarée en Palestine et proche de l’empereur romain Constantin Ier.

[4] Cérémonie d’inauguration solennelle faite par une importante personnalité politique

[5] Croisé : Chevalier chrétien occidental qui participe aux expéditions militaires organisées à l’initiative de l’Eglise

[6] État fondé en avril 1204 sur le territoire de l’Empire byzantin à la suite de la quatrième croisade et la chute de Constantinople aux mains des croisés latins.

[7] Correspond aujourd’hui au quartier de Karaköy, situé au nord de la Corne d’Or.

[8] Pointe occidentale de l’Asie comprise entre la Méditerranée orientale, la mer Égée et la mer Noire. Equivalent de la Turquie actuelle.

[9] Mehmet II monte une première fois sur le trône en 1444 lorsque son père, Mourad II abdique, mais est déposé deux ans plus tard, en 1446, principalement en raison de son jeune âge puisqu’il est âgé de 12 ans.

[10] Fondateur et premier président de la république de Turquie de 1923 à 1938.

[11] Titre accordé, dans l’Église, à certains évêques titulaires de sièges très importants.

[12] Architecte ottoman d’origine chrétienne, ingénieur, créateur de l’architecture classique ottomane

[13] « Iftar » repas qui est pris chaque soir par les musulmans au coucher du soleil pendant le jeûne du mois de ramadan.

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